L'espèrance
(Moteur d'un pèlerinage - moteur d'une vie- moteur du pèlerinage de la vie)
par Édouard FOURNIER-LAROQUE Grand Hospitalier
« C’est la Foi qui est facile et de ne pas croire qui serait impossible. C’est la Charité qui est facile et de ne pas aimer qui serait impossible. Mais c’est d’espérer qui est difficile…
Et le facile et la pente est de désespérer, c’est la grande tentation.
La petite espérance s’avance entre ses deux grandes sœurs et on ne prend pas seulement garde à elle.
Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur le chemin raboteux du salut ; sur la route interminable, sur la route entre ses deux sœurs la petite espérance s’avance…
C’est elle, cette petite, qui entraîne tout.
Car la Foi ne voit que ce qui est. Et elle (l’espérance) voit ce qui sera.
La Charité n’aime que ce qui est. Et elle (l’espérance) aime ce qui sera. »
( Charles Péguy – Le porche du mystère de la deuxième vertu)
« Vous qui craignez Dieu, croyez en Lui, de même espérez en Lui et de même aimez Le ». (L’Ecclésiastique 2 - 7,8,9 )
La Foi, l’Espérance et la Charité (c a. d. l’Amour du prochain), sont des vertus qui nous ordonnent à Dieu : elles sont donc théologales.
Le dictionnaire est très précis et assez décevant sur ce thème:
espoir voir espérer et dans espérer on trouve à espérance : « sentiment de confiance dans l’avenir».
C’est peu et c’est confus tant l’Espérance me paraît différente de l’espoir.
Un dictionnaire philosophique avec une définition plus nuancée de l’espérance, permet de mieux s’engouffrer dans cette différence ; je cite : « Attente ouverte, ne portant pas sur des résultats externes (comme l’espoir), mais sur l’accomplissement de l’être personnel ou sur un changement radical de la condition humaine. Voilà qui fait interférer une dimension transcendantale.
Quand nous parlons d’Espérance, nous sommes dans la relation singulière qui unit l’homme à son Créateur.
L’espoir est un sentiment humain : « j’ai bon espoir d’y arriver » ou bien « je n’ai pas grand espoir » autant de formules qui consistent à essayer de scruter l’avenir, d’établir un pronostic. Alors oui, on peut dire que l’espoir est un sentiment de confiance ou non dans l’avenir.
Mais il en va tout autrement de l’Espérance. L’Espérance est d’essence divine, et bien que tournée vers l’avenir, elle nous habite dans le présent. Dans ce sens, Espérer, c’est accepter l’incertitude du lendemain, et avoir confiance aujourd’hui, non pas confiance dans les événements qui demeurent imprévisibles, mais en Dieu qui les dirige et qui nous aime.
« Faites consciencieusement votre devoir, donnez-vous bravement à votre tâche et ayez confiance dans votre Père des Cieux qui connaît vos besoins » nous dit l’Évangile.
Ainsi l’Espérance ne se fonde pas sur l’impossible sécurité du lendemain, mais elle nous procure une relative sérénité dans l’insécurité quotidienne. C’est aujourd’hui, ici et maintenant que nous espérons, sans rien savoir de ce que demain nous réserve et c’est en Lui que nous espérons.
« Donnez-moi un point d’appui et je soulèverai la Terre » disait Archimède.
C’est en prenant appui sur le socle de la Foi, que le levier de l’Espérance, nous met en mouvement vers la Charité.
Campée entre ses deux grandes sœurs que sont la Foi et la Charité, la petite vertu de l’Espérance, comme l’appelait Charles Péguy, a ceci de spécifique qu’elle est dynamique.
Dans notre pèlerinage sur la Terre, c’est en partant de la Foi, et en cheminant dans l’Espérance, que nous tendrons vers la Charité.
En effet, de même qu’on a coutume de dire que c’est le chemin qui fait le pèlerin, c’est l’Espérance qui confère au pèlerin terrestre son statut de croyant, au cours de son cheminement sur cette Terre.
Si la Foi est la première des vertus théologales, puisqu’elle est à la base de tout,
si la Charité est la plus grande d’entre elles, puisqu’elle seule subsistera à la fin des temps,
leur petite sœur Espérance, la deuxième vertu, est le véhicule, le moteur qui anime notre pèlerinage terrestre pour aller de l’une à l’autre.
Charles Péguy a intitulé son œuvre sur l’Espérance : « Le porche du mystère de la deuxième vertu ».
Curieux titre me direz-vous pour parler de l’Espérance : « Le porche du mystère de la deuxième vertu ». A y regarder de plus près, pas tant que cela, car ce titre est parfaitement concis et ciselé à l’image des cherchants que nous sommes, en quête du Beau, du Vrai, du Principe initial, intemporel et immuable.
- deuxième vertu : nous venons d’expliquer pourquoi elle se situe très logiquement entre la Foi et la Charité,
- mystère de la deuxième vertu : en effet puisque si la Foi et la Charité sont relativement faciles à appréhender, il n’en est pas de même pour l’Espérance qui demeure une énigme difficile à préciser,
- porche du mystère de la deuxième vertu : porche à la fois humble passage et porte transfigurante. Humble passage parce que l’homme au moment de son passage sous un porche ne peut que se sentir petit, humble et pauvre, comme écrasé sous la magnificence de l’édifice ; et porte transfigurante dont le franchissement lui donne accès au sein d’un espace sacré, à un état de réceptivité spécifique, indispensable à sa quête spirituelle.
Ainsi donc l’Espérance ne prend tout son sens que si l’homme est en état de la recevoir.
Un père accueille simplement et sans question, un fils parti étudier à la ville et qui revient après beaucoup de temps sans avoir donné de nouvelles. Avec joie et simplicité et sans trop parler ils passent à table. Au cours du repas, le père s’adresse à son fils :
- « Mon fils toi qui as étudié, tu pourras peut-être trouver un moyen de faire cela : enlever ce gros caillou qui est dans le jardin, et le porter au sommet de la colline ».
Toute la journée, le fils essaie de déplacer la lourde pierre, usant toutes les ressources de sa force, de son intelligence, toute sa ruse et tout son muscle ; rien n’y fait, la pierre ne bouge pas. Au soir il revient dépité et tout penaud vers son père : « non père, je n’ai pas réussi, c’est impossible ».
Le père sourit alors doucement. « Tu aurais pu la briser, et la porter morceau par morceau. C’est pareil pour le cœur, mon fils ».
- « Comment çà papa, c’est pareil pour le cœur ? ».
- « C’est pareil pour le cœur, mon fils. Le cœur ne bouge que brisé ».
Le cœur ne bouge que brisé et c’est l’Espérance qui le broie, qui broie chaque grain de blé que nous sommes sous la meule de la vie afin que ce devenir inéluctable de poussière de farine puisse sous le levain de l’Espérance, se transformer en pain de vie.
Prenons garde à sauvegarder précieusement cette petite flamme, fragile et vacillante de l’Espérance, cette faible lueur qui ne pénètre qu’à peine les ténèbres et ne fait qu’ajouter à la pénombre qui cache les perspectives de la vie future. C’est ce voile mystérieux que la raison humaine ne peut traverser sans le recours de cette Lumière qui vient d’en haut.
Quant à l’interrogation que suscite l’engouement chaque année croissant, du Chemin de Compostelle ainsi que tous les Chemins de spiritualité à travers le monde, je laisse à Théodore MONOD, ce très grand pèlerin de la Vie, qui a cheminé au cours du siècle écoulé, le soin d’apporter les plus belles réponses qui soient.
« Jamais je n’ai aussi bien pensé, n’ai autant vécu, n’ai autant été moi-même que dans les longs voyages que j’ai fait seul, à pied » (Théodore MONOD, Sciences et Avenir janvier 2001)
« L'homme moderne redoute le silence car il pressent, confusément, que le silence est une terre de confrontation avec l'essentiel, avec nous-même, avec notre vocation d'homme. Il faut plonger dans le silence comme on s'aventure dans le désert. Il nous faut retrouver le chemin du silence » (Théodore MONOD, Terre et Ciel)
ULTREÏA !