Le pèlerinage de Compostelle ! L'idée s'était progressivement installée en moi, jusqu'à devenir un besoin, un appel. Les motivations pour s'y lancer sont propres à chacun. En ce qui me concerne, c'est clairement dans le cadre d'une quête spirituelle qu'elle s'est imposée. D'abord avec le sentiment d'un voyage à effectuer, qui pouvait se comprendre comme un voyage spirituel, pas nécessairement physique. Compostelle n'en faisait pas forcément partie à ce stade. Puis, peu à peu, le besoin de faire ce pèlerinage est devenu une évidence.

La perspective de marcher des heures et des heures avec 10 ou 12 kg de bagages sur le dos, ma colonne vertébrale un peu abimée ne l'aurait sans doute que modérément apprécié, me faisait reculer. L'idée m'est alors venue de le faire à vélo, sport que je pratique depuis l'enfance, certes d'habitude avec un vélo de course de 8 kg, et non avec un vélo de route lesté d'une bonne dizaine de kg de sacoches.
Restait à trouver le temps, la bonne période, pour le faire. Mon départ à la retraite à l'été 2022 en a été l'occasion.
L'itinéraire entre Le Puy et Saint Jean pied de port a été défini à partir du livre de Philippe Calas, Compostelle à vélo. J'ai modifié le parcours pour inclure Rocamadour qui me semblait une étape spirituelle importante. 13 étapes pour 760 km, suivant d'assez près le traditionnel GR65, et passant par les étapes traditionnelles : Saugues, Aubrac, Conques, Cahors, Moissac...

C'est ainsi que le 6 septembre je me suis trouvé au Puy, un ami m'y ayant emmené en voiture. Un violent orage, un vrai déluge pendant deux heures, m'a causé quelques inquiétudes, les prévisions météo n'étant pas optimistes pour les jours suivants.
Ces craintes se sont révélées infondées, et le pèlerinage s'est effectué de la meilleure façon.
J'ai eu une chance extraordinaire avec la météo : le seul moment difficile de ce point de vue a été une heure de brouillard en quittant Le Puy, conséquence des pluies de la veille. Je n'ai pas reçu une goutte de pluie, les orages éclatant alors que j'étais déjà arrivé à l'étape. Je n'ai connu qu'une journée de grosse chaleur. Je n'ai pas rencontré le moindre souci mécanique avec le vélo, et physiquement j'ai bien sûr connu quelques passages difficiles, et je suis parfois arrivé à l'étape bien fatigué (mais la fatigue fait partie du pèlerinage), mais chaque fois la nuit me permettait de récupérer et de bien repartir le lendemain.

Sans décrire en détail ce voyage, j'en citerai quelques moments ou lieux qui ont été les plus marquants :
La messe des pèlerins au Puy juste avant le départ. Le nombre des pèlerins, venus du monde entier, les propos de l'évêque rappelant les grandes lignes de l'histoire de ce pèlerinage et encourageant tous ceux qui l'entreprennent, sans distinction quant à leur foi ou conviction religieuse, a été un moment chargé d'émotion, et la sortie de la cathédrale par cet immense escalier fût impressionnante.
La traversée du plateau de l'Aubrac balayé par le vent et sous un ciel très sombre a souligné la sévérité de cette contrée rude, et a fait davantage apprécier le soleil retrouvé à Espalion après la longue descente pour quitter le plateau.
L'illumination du tympan de l'église abbatiale de Conques, accompagnée de son explication par un moine de l'abbaye, fut un ravissement dans cette étape très forte spirituellement.
Rocamadour a sans conteste été le point d'orgue spirituel de mon pèlerinage. J'en avais le pressentiment avant même le départ.

Au-delà de sa beauté et de la richesse de ses décors, l'abbaye de Moissac m'a amené une interrogation à laquelle je n'ai pas trouvé de réponse : dans le chœur de l'église abbatiale, on ne trouve pas le christ, comme dans toutes les églises ou cathédrales, mais trois statues : Marie au centre, saint François de Sales à sa droite, et Marie-Madeleine à sa gauche. Je crois qu'il y a bien une croix au-dessus, mais si discrète qu'on ne la remarque pas. Les placer à cet endroit n'est sans doute pas anodin...
Les bords du canal à la sortie de Moissac ont été les seuls passages totalement plats de tout ce voyage. Le soleil du début de journée au travers des arbres conférait à cet endroit une atmosphère de calme et sérénité.
Enfin, les Pyrénées, au loin d'abord puis de plus en plus proches, donnaient aux dernières étapes, sous un soleil éclatant, un fond de décor absolument magnifique, générant un étrange sentiment mêlé de satisfaction de terminer ce périple quand même fatigant et de nostalgie naissante à l'idée de retourner à une vie plus ordinaire.

Qu'ai-je retenu de ce pèlerinage, au travers de toutes les émotions qu'il a générées ?

D'abord, la très grande gentillesse des personnes rencontrées
Les hospitaliers, bénévoles qui tiennent un certain nombre de gites, font preuve de beaucoup de prévenance pour aider les pèlerins à l'étape. Le nombre des pèlerins est tel qu'il leur est parfois difficile d'avoir beaucoup de temps à consacrer à chacun. C'est le cas par exemple à l'hostellerie sainte Foy à Conques ou à l'accueil pèlerin de saint jean pied de port, mais toujours la gentillesse est là. Dans les autres gites ou forme d'hébergement que j'ai fréquentés, j'ai toujours été très bien accueilli, et j'ai eu le sentiment que la qualité de pèlerin de Compostelle amène une sorte de respect et de bienveillance.

Gentillesse aussi des gens rencontrés aux étapes ou à l'occasion des pauses ou rencontres sur le chemin. Marcheurs ou cyclistes (j'en ai rencontré quelques-uns mais assez peu), on est engagé sur le même chemin, même si les motivations sont propres à chacun, et on s'y reconnaît une sorte de communauté. Aucun jugement réciproque sur la façon de le faire, au contraire conviction partagée que chacun le fait comme ça lui convient et que c'est très bien comme ça. Et même, ça m'a amusé, une sorte de respect réciproque : souvent on m'a dit que le faire à vélo devait être bien difficile...alors que moi, c'est le faire à pied avec un sac à dos de 10 kg ou plus qui m’impressionne.
Dans cet ordre de choses, je garde un excellent souvenir de mon étape à l'ancien carmel de Moissac.
Nous n'étions qu'une douzaine. Les échanges en ont été facilités tant avec les hospitaliers qu'avec les autres pèlerins, au cours du diner et du petit déjeuner.

Deuxième idée retenue : on n'entreprend pas le pèlerinage, on ne le poursuit pas, sans être porté par quelque chose. C'est sans doute propre à chacun ; chacun y met ce qu'il veut, ce qu'il ressent, mais il y a quelque chose qui porte.
Quelques pèlerins rencontrés m'en ont convaincu :
- Un jeune homme sur le parvis de l'église de Nasbinals. Venu du Puy, il n'avait pas de ressources, ne savait pas où il dormirait le soir, et finançait son pèlerinage en faisant appel à la charité. Il espérait aller jusqu'à saint Jacques de Compostelle.
- Un homme d'une soixantaine d'années, rencontré à l'ancien carmel de Moissac. Il avait échappé à la mort l'an dernier, accident ou maladie je ne sais pas, et il a entrepris le voyage, en ralliant d'abord le Puy depuis la Nièvre où il habite, et en comptant aller jusqu’à Saint Jacques. Il ne sait pas chaque matin où il dormira la soir, il va où ses pas le portent.
- Et une personne aveugle, vue à Conques, qui se faisait bien sûr aider d'un accompagnant.
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Ces exemples m'ont impressionné. Sans avoir la prétention de me comparer (ce n'aurait d'ailleurs aucun sens) à eux, plusieurs fois j'ai eu un ressenti qui va dans le sens de cette idée de quelque chose qui porte : le matin, alors que je ressentais une sorte de lassitude, fatigue générale, j'ai senti en prenant le petit déjeuner quelque chose en moi qui me redonnait toute la force et le courage.

La vie est un chemin. Cette idée m'a été amenée par une jeune camerounaise rentrée à Aumont Aubrac qui faisait un parallèle entre la vie et le chemin : il y a des passages faciles, d'autres plus difficiles, qui semblent parfois insurmontables et qu'on finit quand même par passer...Une remarque faite par un hospitalier à Conques l'a poursuivie : « on est tous en pèlerinage ». Et enfin cette question que je me suis posée en chemin, après Moissac : pourquoi continuer, alors que tu as atteint à Conques, Moissac, et surtout Rocamadour ce que tu es venu chercher, et qu'il n'y a plus sur le chemin d'étapes aussi fortes spirituellement ? La réponse qui m'est venue, c'est que, à l'image de ce pèlerinage, la vie est un chemin. Le chant des pèlerins « Ultreia, Ultreia e Suseia » ne dit pas autre chose : va plus loin, va plus loin, va plus haut....

Dernière réflexion, une surprise : le faible nombre de pèlerins assistant aux offices.
A Conques, alors que l'hostellerie sainte Foy était pleine, nous étions 4 à assister aux laudes et 8 à la messe du matin. Même constat à Rocamadour, où il y avait peut-être moins de pèlerins, : nous étions 4 à recevoir la bénédiction après les vêpres et j'étais seul le lendemain aux laudes ; et aussi à Moissac et les autres étapes où l'assistance aux « messes des pèlerins » était faible.
Je ne mets dans ce constat aucun jugement de valeur ; chacun est bien sûr libre de mettre ce qu'il veut dans son pèlerinage et tous sont respectables. Simplement j'y vois une distorsion par rapport aux études ou sondages que j'avais pu lire : 20% seraient dans une quête religieuse et 25% dans une quête mystique.

En guise de conclusion, je dirais que par-delà toutes ces émotions et ces ressentis, ce pèlerinage m'a tant apporté qu'à celui ou celle qui me dirait penser à le faire mais hésiter, je répondrais « Fais le. Laisse mûrir le projet, prépare-le, mais fais-le ! »